De nombreux collectionneurs d’art, habitués à posséder l’œuvre
physique, sont réticents à passer le cap de la collection dématérialisée de NFT.
Que possède réellement un collectionneur de NFT ?
Quel est le rôle du fameux certificat d’authenticité ?
Si, durant la première génération de NFT, les œuvres existaient uniquement en ligne, tout porte à croire qu’une nouvelle génération éclot, qui fait le lien entre œuvre réelle et œuvre virtuelle.
Le 23 octobre 2021 s'est tenue une vente pionnière, « Transition NFT », organisée par la SVV Boischaut SAS. Chaque lot est composé de l’œuvre physique, associée à une œuvre numérique, accompagnée de son certificat NFT unique.
De quoi ravir les collectionneurs dubitatifs, et d’ouvrir la voie aux collections doubles, virtuelles + réelles.
NFT, actes fondateurs
A l’origine, il y eut Banksy. Le 4 mars 2021, un groupe d’investisseurs et de collectionneurs new-yorkais brûle en direct sur Internet l’œuvre intitulée Morons (Crétins en français) du street artiste subversif Banksy. Par cet acte, ils l’ont « tokenisée » en créant un « NFT » et vendue aux enchères sur la plateforme OpenSea.
L’œuvre réelle est devenue virtuelle.
Puis il y eut le 11 mars 2021. Ce jour-là, Christie’s réalise une vente historique de $69.3 millions pour une pièce d’art numérique de l’artiste Beeple.
C’est à partir de cet événement que le grand public s’est intéressé au phénomène NFT.
Parce que les NFT, ce n’est pas que de l’art…
Le 21 septembre 2021, la start-up Sorare annonce avoir signé la plus grosse levée de fonds de l'histoire de la French Tech : 680 millions de dollars, soit 580 millions d’euros. Sorare commercialise des cartes de fantasy football, dont la valeur dépend, entre autres, des performances lors de matches réels.
Les NFT s’installent durablement dans le paysage.
NFT : triple en un
Un NFT est à la fois une œuvre, un droit de propriété et un certificat d’authenticité.
L’œuvre est le plus souvent une image, mais peut également être une vidéo, un titre de musique, un live filmé, une animation, un texte.
Lorsque l’œuvre est incorporée dans un registre partagé public, une blockchain, elle devient alors un NFT, un Non Fongible Token. La blockchain est une base de données où les échanges et les transactions sont inscrits dans un historique ; ils peuvent être vérifiés et validés par tous les acteurs du marché (artistes, collectionneurs, galeristes, experts, public, etc.).
Les NFT sont généralement créés sur la chaîne de bloc Ethereum (via les « normes » ERC-721 ou ERC-1155), mais il existe d’autres blockchains comme Tezos ou Solana.
Un NFT contient toutes les informations relatives à la certification d’une œuvre : nom de l’œuvre, nom de l’artiste (mint authority), nombre de tirages, taille, support, etc. Dans le même temps, ce token comprend un droit de propriété qui établit un lien indéfectible entre l’œuvre physique et un unique propriétaire.
La magie des NFT réside dans cette fameuse unicité : une œuvre en ligne, garantie unique et traçable par la technologie blockchain aux yeux de tous -- et directement partageable sur tous les réseaux sociaux.
La typologie des collectionneurs 2.0
Si, au départ, les collectionneurs de NFT ressemblaient plus à des geeks, crypto addicts et primo adoptants pionniers en innovation, un changement s’opère.
Deux phénomènes majeurs déterminent qui sont les collectionneurs de NFT artistiques.
D’une part, les ventes d’art en ligne ont explosé. Le rapport d’Art Basel et d’UBS, The Art Market 2021, rédigé par le fondateur d’Arts Economics, révèle que
les ventes d'art en ligne ont atteint un niveau record de 12,4 milliards de dollars en 2020, doublant en valeur par rapport à 2019. « La part représentée par les ventes en ligne
est également passée de 9% des ventes en valeur en 2019 à 25% en 2020 ».
Avec la période de COVID, les collectionneurs d’art se sont habitués à acheter en ligne, et de nombreux neo jeunes collectionneurs sont apparus sur ce marché.
D’autres part, toujours durant cette période de confinements, les investisseurs de cryptomonnaies ont afflué et certains ont gagné énormément d’argent. Les NFT sont un investissement naturel lorsque l’on possède de la cryptomonnaie et que l’on a une âme de collectionneur.
Achat d’art en ligne démocratisé + cryptomonnaie en masse = explosion des collections de NFT.
Les collectionneurs de NFT de première génération sont souvent jeunes, très au fait des technologies web et blockchain, sensibles aux innovations. Thierry Ehrmann, président d'Artprice les décrit comme « de nouveaux collectionneurs, d'une moyenne d'âge de 32 ans, la génération 2.0 ».
Pour les collectionneurs en puissance, issus du marché de l’art traditionnel ou non, intrigués par les NFT, l’un des freins pour passer à l’acte est de ne pas
posséder l’œuvre physiquement.
« Transition NFT » : la vente aux enchères hybride NFT + œuvre physique
Le samedi 23 octobre 2021 s’est déroulée la vente « TRANSITION NFT » en présentiel à 14h avec retransmission sur les Lives d’Interenchères et de Drouot Online.
Au total 75 lots d’artistes reconnus, constitués d’œuvres physiques et numériques avec certificats NFT ont été mis en vente. À noter, un hologramme avec NFT en première mondiale et un collectible absolument unique de l’univers du foot.
Concernant le certificat, il a été réalisé par le partenaire technologique Ato après paiement de l'adjudication et selon la demande de l'acheteur de créer le jeton NFT sur Polygon ou Ethereum.
Voici comment l’œuvre ci-dessus est légendée pour la vente :
« Olivier DEGORCE "HORIZON SAN PEDRO" (2020)
Tirage jet d’encre, 40 x 50 cm 10/21 (édition de 21 exemplaires) Tirage seul (sans cadre) Fichier Tiff - 95,8 Mo - 7087 px X 4724 px Certificat NFT 1/1
Estimation 800 - 1 200 EUR »
Déchiffrons :
L’acquéreur sera le propriétaire d’un tirage numéroté 10 (issu d’une série de 21) et de l’unique NFT, intitulés "HORIZON SAN PEDRO", titre valable pour les deux œuvres.
La vente est réalisée en euros car une maison de vente aux enchères doit respecter des contraintes réglementaires (le paiement en cryptomonnaie n'est pas
possible).
L'acquéreur achète en même temps deux œuvres portant le même titre.
L'œuvre devient double.
Leonardo tokenisé
D’autres initiatives jouent sur cette ambivalence œuvre virtuelle / réelle et dépasse l’idée même de collection individuelle.
Le musée de l’Ermitage (de Saint-Pétersbourg) et la plateforme Binance (basée à Hong Kong) se sont associés pour la mise aux enchères de la collection « Votre jeton est conservé à l’Ermitage », réalisée du 31 août au 7 septembre 2021.
Pour l’occasion, les 5 œuvres suivantes ont été tokenisées :
- Madone à l’enfant de Léonard de Vinci
- Judith de Giorgione
- Buisson de lilas de Vincent Van Gogh
- Composition VI de Wassily Kandinsky
- Coin du jardin à Montgeron de Claude Monet
Ainsi, les enchérisseurs gagnants de chaque NFT ont obtenu non seulement le NFT de leur chef-d’œuvre, mais également une vidéo unique dans laquelle le Directeur de l’Ermitage, Mikhaïl Piotrovsky, présente le processus de certification des copies du tableau en les signant.
Récapitulons. L’heureux élu acquiert le NFT d’une toile de maître conservée dans le deuxième plus grand musée du monde, aux côtés du double numérique signé par son directeur.
Grâce au NFT, un collectionneur peut posséder un chef-d’œuvre de l’humanité… numérique.
Fin du game.
Les initiatives de vente de NFT et de son œuvre physique indissociables se
multiplient.
L'œuvre devient ainsi double. Ou triple. On ne sait plus trop.
Des problématiques nouvelles apparaissent.
Si l'acquéreur achète en même temps 2 œuvres, l’œuvre NFT et l’œuvre physique, il
peut les revendre séparément.
L’une sur le marché de l’art traditionnel, dans les galeries ou maisons de vente, l’autre sur des marketplaces de NFT.
Quid des prix ? Quid de la cote de l’artiste ? Valeur en
crypto ? En monnaie fiduciaire ?…
Les NFT n’ont pas fini de bouleverser les codes des collectionneurs, du marché et
de l’art.
Stay tune.
Juliette B.